samedi, avril 08, 2006

Rain and tears


Le front appuyé contre un carreau, Isis ferme les yeux sur la pluie qui tombe depuis plusieurs heures, noyant son univers. Tandis que cette pluie esquisse sur la vitre les barreaux d'une prison, elle se rappelle ses bras fermes qui l'enfermèrent contre lui. Qui l'enfermèrent dans leur histoire...
Un flacon ouvert sur la table de nuit disperse une odeur d'ironie dans la pièce et vient lui enivrer l'esprit. Les paupières closes, elle revoit son regard velouté. Elle peut sentir ses doigts brûlants courir sur sa peau...
Un téléphone sonne, dans l'immeuble. Des fleurs se fanent. Des gens vivent, se disputent, dorment, rêvent, font l'amour. Sa vie à elle, est en suspension depuis que cette douleur hallucinogène l'habite.


Elle sort sur le balcon, et allume une cigarette, pour dissoudre ce poids sous forme de fumée. Celle-ci est presque aussitôt éteinte par l’averse. Isis reste immobile, la cigarette froide et imbibée de pluie entre ses lèvres. Son débardeur trempé lui colle à la peau comme un souvenir. Ses cheveux noirs jaie sont plaqués contre ses tempes, et ses yeux brillants s'égarent dans le silence de la ville... Elle murmure son nom, qui se consolide et s'envole au dessus des toits. Des larmes viennent lui brouiller les yeux. Brûlantes, elles roulent sur ses joues froides et se mélangent à l’eau de la pluie pour tomber en grosses gouttes sur le ciment. Isis les écrase de ses pieds nus. Les jambes nues, elle tremble très fort et se sent devenir liquide à son tour, fondre, couler sur le balcon, le long du mur, dans la rue, jusqu’à son appartement. Elle continue de couler, se glissant à l‘intérieur, sur son carrelage, dans son lit, dans son sommeil, s'introduisant en lui, dans sa gorge, l’étouffant, le noyant. Elle se sent à son tour mourir en lui, se mélangeant, s’introduisant dans chacune de ses cellules, leurs atomes à tous deux se confondant dans une soupe épaisse.

Isis revient à elle. Elle ne sent plus ses pieds ni ses mains. Réunissant ses forces, elle parvient péniblement à bouger. Puis, comme guidée par une énergie extérieure, elle rentre dans l’appartement, enlève ses vêtements, se glisse dans la cabine de la douche. Elle fait couler de l’eau chaude sur son corps, mais ne sent rien. Elle reste longtemps immobile, fixant une fissure sur le carrelage. Peu à peu, les sensations reviennent, et la douce moiteur de l’eau l’enrobe et l’endort. Elle se perd alors dans le brouillard de ses pensées, erre dans un songe éveillé, tel un fantôme traînant des chaînes de larmes et de poussière. Quand elle reprend ses esprits, la pièce est envahie par la vapeur. La vitre de la douche, les murs, les miroirs sont troubles comme son rêve. Elle sort et avance dans cette pièce de fumée, laissant gravée sur le carrelage la trace de ses pas. Elle s’évapore alors, et flotte dans cette petite salle de bain au milieu de la vapeur d’eau. Gaz pris au piège entre ces quatre murs, condamné à se condenser lentement dans le lavabo puis à être emporté par des tuyaux jusqu’au fin fond de la terre, enseveli à jamais.


Il est trois heures du matin. Isis, assise sur son lit avec une serviette sur le dos, contemple la ville qui semble avoir été absorbée par la nuit. Elle distingue une silhouette accoudée à un lampadaire qui diffuse une faible lumière dans le boulevard. Par moment des voitures passent, donnant l’impression de survoler la rue. Elles balaient furtivement de leurs phares les murs de la chambre et leur gémissement s’éteint presque aussitôt dans la profondeur de la nuit.

Soudain la ville semble se dédoubler, les lumières dansent sous ses yeux une valse endiablée, tous les petits bruits de la nuit viennent se confondre en une longue plainte lancinante. Isis presse ses mains contre ses oreilles, fort, fort mais le bruit s’intensifie, elle ferme les yeux de toute ses forces mais les lumières deviennent aveuglantes, tout se combine pour exercer sur elle une pression indescriptible, la compresser jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une petite boule de particules très denses, qui tombe du lit et roule sur le sol, de plus en plus vite, jusqu’à se heurter violemment au mur et exploser, projetant des débris de rêves dans toute la pièce, lesquels atterrissent sur les murs et dégoulinent lentement tandis que l’aube surgit.

janvier 2005

4 Comments:

Blogger L'Anonyme de Chateau Rouge said...

Beh ! où est passé la photo de la jeune fille sur la plage?

2:30 AM  
Anonymous Anonyme said...

Dreamstock,

J'aime de plus en plus la façon dont tu écris. Les images, les mots, les parallèles, tout ça fait en sorte que je ne veuille pas laisser la phrase que je suis en train de lire, tout en ayant très hâte de lire la suivante.

C'est ce paradoxe qui me fait d'ailleurs aimer l'action de lire.

André.

6:58 AM  
Anonymous Anonyme said...

mais je connais ce petit bout de texte;je vois que tu l'as bien revisité avec quelques extensions et toujours autant de grâce et d'émotions dans ton petit monde.
J'aime bien cette idée de se dissoudre complètement dans son environnement,sous forme d'eau,de gaz,de solide(si on considère que "les petites particules denses" sont solides);d'ailleurs t'as réuni consciemment les trois états? En tout cas,c'est une image qui me parle beaucoup.

1:28 AM  
Anonymous Anonyme said...

j'avais oublié:j'adore l'illustration!

1:31 AM  

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